98 Vos papiers, s'il vous plaît

    Comme nous portons des habits, il est mal aisé de se renifler mutuellement le trou du cul. Des signes, comme une voix rauque, des nibards arrogants, ne suffisent pas à nous distinguer les uns des autres! Un visage ne remplace-t-il pas avantageusement une pâle copie photographique? Mon identité, je peux la décliner moi-même. Hélas la société vous répondra: "mais il vous les faut". On aura beau demander pourquoi; la réponse invariablement tournera en rond. - Pour aller à l'étranger: deux jambes suffisent. - Pour prévenir la famille en cas de problème: soignez-moi d'abord. - Pour être reconnu par ... l'autorité compétente.
    C'est bien là le problème: qui dit autorité, dit pouvoir, qui dit pouvoir, dit risque de dérapage. Personnellement je ne suis pas contre le pouvoir de crier, de persuader, de faire quelque chose, à condition qu'il soit limité à la portée de la voix ou des relations de proche en proche qui font porte-voix. Chacun de nous peut résister à des pouvoirs si on les trouve injustes. Ainsi j'aimerais crier avec les sans-papiers: "moi aussi je ne veux pas en avoir", plutôt que le contraire.
    Vouloir avoir des papiers, c'est vouloir déléguer (ou réclamer) à un pouvoir, administratif en l'occurrence, un certificat d'existence. Exister me suffit. Me garnir les poches de papiers qui permettrons d'en avoir d'autres ne m'intéresse que moyennement. Et les faux-papiers! Et les vrais voleurs! Et les faux-semblants! Et les vrais paradis fiscaux! Plein de choses se trament grâce à ce support cellulosique, au travers de lois parfois scélérates, le diable a même acheté l'âme de Faust avec. L'existence de papiers sous couvert de protéger l'individu ne sert qu'à protéger l'intérêt des possédants. J'aimerais aussi posséder l'usufruit de toute chose, or je ne peux être qu'à un endroit à la fois. Le monde qui m'entoure m'appartient aussi, je peux éventuellement le partager. Le son de ma voix est ma sphère d'influence. A l'ère d'internet je dénote, mais baste.

    Donc aujourd'hui, en résumant, si vous n'avez pas de papiers vous n'êtes rien et en résumant le résumé: le papier est plus important que l'homme et le virtuel plus que le réel. A cet effet, je propose que chacun crée son monde, son pays dans son médiacosme propre. Qu'il diffuse ses papiers propres, consommez du papier, surtout après tous les arbres qui sont tombés en décembre 1999. "Vive la Jaffeusie libre et indépendante".